Il est des moments qui semblent suspendus dans le temps, des moments à part… mais auxquels on préférerait échapper. C’est à l’un de ces moments improbables, presque « lunaires », qui, en fin de compte, ne fait que renforcer le sentiment de révolte qui a été vécu par la délégation intersyndicale (CGT/FO/FSU/UNSA/SUD) lors de sa rencontre, ce 14 novembre 2023, avec le Cabinet du Ministre, le DGER et son adjoint dans le cadre de la journée nationale de grève sur les « fiches de service » des enseignant·es !
De la difficulté à entendre… à défaut de vouloir écouter
Si on avait encore un doute sur la volonté d’avoir un échange de fond pour sortir du bourbier dans lequel nos lycées ont commencé à s’enfoncer, il a été rapidement levé !
D’emblée Madame la Directrice adjointe de cabinet et ses collègues ne disposaient que d’une heure car devant « enchaîner avec une audition au Sénat ». Il est vrai qu’après avoir reçu le préavis le 23 octobre, consacrer une heure de son précieux temps, le jour de la grève, pour écouter les revendications à défaut de vouloir les entendre, cela relève de l’effort dans un ministère dont 60 % des agent.es travaillent dans et pour l’enseignement agricole !
Ensuite, il a été nécessaire de repréciser à Madame la Directrice adjointe de cabinet que l’objet de la grève ne portait pas sur la rénovation de la voie professionnelle elle-même, mais sur la volonté de la DGER d’imposer unilatéralement une nouvelle règle de gestion pour compter les heures de pluridisciplinarité en bac pro rénové et ses incidences sur les services et la fiche de paie des enseignant·es… Sans doute que la lecture du préavis n’avait pas suffi. Quant aux déclarations préalables aux boycotts des deux dernières instances DGER, elles avaient manifestement tout autant échappé à l’esprit sagace de notre interlocutrice !
Puis nous en sommes venus à la règle de gestion en question. Pour Madame la Directrice adjointe de cabinet, tout est résumé en substance en un mot comme en cent : « si les consignes avaient été mieux anticipées (entendez le passage de 28 semaines à 36 semaines pour compter les heures de pluri) alors ça se serait mieux passé, c’est ce que l’on observe dans les quelques lycées dont les proviseur·es ont su décrypter que les évolutions pédagogiques importantes comprises dans cette rénovation des programmes de bac pro impliquaient le changement de règle de calcul ». En gros, ne pas se retrouver à avoir une fiche de service refaite après la rentrée et matérialisant une baisse de sa rémunération (plusieurs centaines de collègues en ayant fait l’amère expérience), ben… c’est plus douloureux que d’être passé·e au laminoir avant l’été, avec une classe de plus à prendre en charge ou un peu moins d’heures supplémentaires au bout de la ligne !
Pour Madame la Directrice adjointe de Cabinet tout ça n’est finalement qu’une affaire de « technique », le bac pro rénové ayant vu par ailleurs la pluridisciplinarité renforcée – ce qui est factuellement faux, son volume a juste été réparti différemment entre matières techniques et générales et les heures ne sont pour l’essentiel plus fléchées, mais ne cherchez pas d’horaires en plus vous n’en trouverez pas, sachant qu’aujourd’hui financer deux professeur·es devant les élèves pour faire une pluri relève de la prouesse financière… Et encore, il a fallu s’employer et faire manifestement marcher la boîte à idées. En effet, la DGER n’est une fois de plus pas parvenue à démontrer le lien entre cette « réforme pédagogique matricielle » et cette nouvelle règle de gestion « implicite, en creux » (sic).
L’explication du DG a ainsi tourné court, s’embourbant entre semaines dites blanches, de cours, de stages collectifs et de stages en entreprise… Bref, ce qui caractérise en fait l’ensemble des référentiels de l’EA (du CAP aux BTSA en passant par les STAV) ! La réalité est sans aucun doute plus crue : le coût de cette réforme s’est manifestement révélé supérieur à ce qui était prévu… dit autrement comment financer une semaine de stage collectif en plus, retranché du nombre de semaines initial en entreprise quand on annonce une réforme à moyens constants… Et bien qu’à cela ne tienne… la DGER innove en faisant financer à l’ensemble de l’équipe enseignante (en les payant moins) les heures d’intervention de deux collègues dans le cadre de cette semaine de stage collectif supplémentaire !
Mais comme le dit avec conviction Madame la Directrice adjointe de Cabinet, « l’administration a reconnu ses erreurs c’est déjà important ». Après, que les explications de cette nouvelle règle de gestion qui conduit les enseignant.es pour le même volume de pluri à être moins rémunéré.es, n’aient pas convaincu, c’est autre chose. Sachant que pour le DGER lui-même cela a nécessité plusieurs “rétrolectures” (sic) avec ses services durant l’été pour enfin le 30 août faire passer une consigne orale explicite, on est censé comprendre que c’est compliqué pour tout le monde !
Aucune intention politique… mais quand même…
Ainsi, dans le petit monde de Madame la Directrice adjointe de Cabinet, tout ceci relèverait presque de la « faute à pas de chance »… Pourtant à l’heure des comptes, le refus sinon de répondre, en tout cas d’assumer de prendre des positions affirmées de Madame la Directrice adjointe de Cabinet sur trois questions simples mais essentielles que l’Intersyndicale lui a posées démontre tout autre chose…
Le Cabinet du ministre de l’Agriculture assumerait donc de contrevenir au droit et à la réglementation en vigueur ?
NON… mais s’il le faut on va modifier la circulaire Mayajur de 2004 – sachant que le DGER adjoint avait indiqué lors d’une séance d’échange sur les fiches de service enseignantes le 16 octobre dernier que si on ouvrait ce chantier c’était des mois de travaux pendant lesquels ses services devraient interrompre tout le reste, y compris les rénovations en cours de l’ensemble des référentiels de l’EA… ça promet !
Le Cabinet du ministre de l’Agriculture considérerait donc clairement que les enseignant.es de l’enseignement agricole doivent travailler davantage pour être payé·es pareil ?
NON… mais cette nouvelle règle de gestion (qui conduit pourtant mécaniquement, mathématiquement à cela, car X divisé par 36 fera toujours moins que X divisé par 28) sera mieux « accompagnée », « expliquée » et « anticipée » quant à sa mise en œuvre pour la rentrée 2024, évitant ainsi l’incompréhension et les inégalités de traitement observées en 2023 !
Le Cabinet n’aurait donc rien à dire quant aux contradictions politiques majeures qui sautent pourtant crûment aux yeux si cette mesure venait à être maintenue, car comment afficher qu’on entend moins bien rémunérer les professeur.es engagé.es dans des séquences pluridisciplinaires pourtant parmi les plus exigeantes en temps et en conception dans le cadre des enseignements dispensés dans nos lycées agricoles et prétendre améliorer l’attractivité des métiers enseignants, revaloriser leur rémunération et relever le défi de former 30 % d’élèves et d’étudiant.es en plus aux métiers de l’agriculture ?
NON… et là il n’y a même pas eu de « mais » !
Conclusions du Cabinet : la DGER est mandatée pour programmer de nouveaux GT « techniques » pour anticiper et mieux préparer l’accompagnement de la rentrée 2024 en vue de généraliser cette nouvelle règle de gestion à l’ensemble des bac pro.Réponses et suites pour l’Intersyndicale : nos OS vont poursuivre le boycott de l’ensemble des instances et GT ayant trait à l’Enseignement Agricole au niveau national comme en région, donc refuseront de se rendre à ces GT techniques.
Elles appellent d’ores et déjà les personnels de l’EAP à poursuivre et diversifier les mobilisations jusqu’à ce que Marc Fesneau prenne position dans le conflit d’ampleur qui vient juste de débuter.
Elles demandent à ce qu’il assume explicitement et directement, parce qu’il en a accepté la charge en tant que Ministre de l’Agriculture, de prendre une position sur ce dossier qui se présente sous un jour technique, mais est en réalité éminemment politique en ce qu’il touche au statut, au métier et à la fiche de paie des enseignant·es du MASA !
Paris, le 16 novembre 2023